Ces textes qui suivent sont tirés du livre "La tradition maritime de Matane" de l'auteur Louis Blanchette, 1992


Un merci spéciale pour le capitaine Raymond Jourdain pour les références et photos


La famille Jourdain est une grande famille de navigateur du Québec. L'ancêtre des Jourdain, Joseph Jourdain, fils de Charles Jourdain et de Marguerite Gagné, s'est établi a Cap-chat en 1911, venant des Ilets-Caribou sur la Côte-Nord. À partir de cette date, les activités maritimes de cette famille sont intimement associées à toutes celles de la Gaspésie du nord et de la côte nord du Saint-laurent.



Né aux Ilets-Caribou le 29 octobre 1902, Edgar Jourdain est le fils de Joseph Jourdain pêcheur, et de Éva Gagné, il est le troisième d'une famille de neufs enfants. Il a fait ses études primaires aux Ilets-Caribou, et obtient en 1935, ses brevets de la classe de navigation. Il s'inscrit par la suite à des cours de pilote à Montréal. Pendant 30 ans, le capitaine Edgar Jourdain s'est consacré à la navigation et fut président de l'Ungava transport pendant 15ans. Il a ensuite changé le cours de sa carrière pour s'intéresser aux contrats de construction en général. Il fut attaché à d'importante compagnie dont la Gaspé construction, et il fut président de l'Ungava trading. Malgré ses nombreuses activités, il a participé activement à la vie sociale de son milieu, il fut membre du club Richelieu, de la chambre de Commerce, du club chasse et pêche et membre supporteur de la ligne navale du Canada. Le capitaine Edgar Jourdain fut décoré par la ligne de sécurité de la province de Québec. Il a obtenu un insigne de la marine marchande du Canada. Et de plus, il fut commandeur de l'ordre Bene Merenti. à Cap-Chat, le 24 novembre 1924, il a épousé Alvine Pelletier de Berthier. Ils ont eu 6 enfants: Lucille (Mme Dr Guy Gauthier, député de Saint michel des saints; Yolande (Mme Dr Marcel Livernoche, ville de Laval); Jules Capitaine de bateaux; Fernand, président de Gaspé construction; Claude, avocat; Hector, ingénieur. Ils ont également adopté un fils, Gaétan Pelletier, père Eudiste. Le Capitaine Edgar Jourdain décéda en mai 1978 et fut enterré avec son père et sa mère a Cap-Chat.








Souvenirs d'enfance du Capitaine Edgar Jourdain





"Je suis né en 1902 aux Ilets-Caribou, comté de Saguenay. Mon arrière-grand-père était Charles Jordan décédé en 1860 et inhumé dans le petit cimetière de Pointe-à-Poulin, Baie-Trinité. J'ai fait restaurer ou remplacer une sorte de Monument ou de planche en bois ou était inscrite la date de décès, par une pierre portant les même inscriptions que sur le haut de la planche en chêne et gravée au couteau. J'ai pris connaissance de ce monument vers 1906 ou 1907.

Mon grand-père paternel était Charles Jourdain. Les missionnaires du temps avaient le nom de Jordan en Jourdain. Mon grand-père Charles et son frère Jimmy n'ont pas connu leur père. Ils étaient très jeunes à l'époque de sa mort. Je suis le fils de Joseph Jourdain, fils de Charles. Ma mère Éva Gagné, est native de Cap-Chat sur la côte sud de Gaspé. Mon père et ma mère se sont mariés aux Ilets-Caribou vers 1898. Je suis le troisième enfant de la famille. Mes premiers souvenirs se rapportent à ma petite place natale. En 1906, je me rendais à la chapelle avec mes parents, comme les autres familles, principalement à l'occasion des missions en saisons d'été. Ma grand-mère, mes tantes, je dirais toutes les familles, environ une dizaine, allaient faire la prière du soir. Il manquait seulement les hommes qui étaient à la pêche ou encore à la chasse. Ma grand-mère nous parlait souvent de la côte-sud que nous avions bien le désir de voir un jour. Après 1906, nos grands-parents maternels venaient nous visiter. Le plus vieux de mes oncles se nommaient Ulric Gagné; Il demeurait aux Ilets-Caribou et avait une goélette à voile. Mes plus jeunes oncles naviguaient avec lui. Il y avait aux Ilets-Caribou les familles Jourdain, Chouinard et la famille Pierre Comeau. Dès ma première connaissance, je me rappelle du décès de madame Pierre Comeau, elle s'appelait Laure Pilote. Ce devait être en 1907. Je me rappelle aussi du naufrage d'une grande Goélette qui se jette sur la côte des Ilets-Caribou. Elle venait de Gaspé et appartenait au capitaine Boulanger de Gaspé. Elle était chargée de bardeaux. La carcasse demeura longtemps sur la grève, plus précisément dans la passe de l'île Chouinard. Plusieurs années avant ma connaissance, il y avait beaucoup de naufrages de grands Bâtiments venant d'Europe ou s'en retournant. Il y avait des épaves tout le long de la côte. Aux grandes marées basses, j'allais avec les garçons plus âgés que moi voir ces épaves. Il y en avait au petit rocher à la caye du brick, à l'anse des morts, au mont Joc, à la petite meule, etc... A l'époque de mon jeune âge, mon père était pêcheur en été et chasseur en hiver. Tout le monde vivait ainsi dire de chasse et de pêche. Mon grand-père Charles Jourdain était le marchand de l'endroit. Il allait à Québec deux fois par année, le printemps et l'automne. Il avait convenu avec un capitaine de Goélette de la rive sud qui s'arrêtait le prendre aux Ilets à l'été et l'automne surtout, avec la pêche de l'été qui était de la morue salée. Il y avait aussi la pêche au saumon que faisait le grand-père Charles avec son frère Jimmy et les Chouinard. LE saumon était empaqueté dans des boites enneigées et on l'expédiait à Québec par des bateaux de ligne. Les noms de ces bateaux étaient le " Natashquan" et "aranmore". Quelque fois, nous avions connaissance du bateau "Savoy" qui desservait l'Île d'Anticosti. Ce bateau appartenait à Meunier et les deux premières aux Holliday. C'étaient des petits bateaux à vapeur. A cette époque, le fleuve était achalandé par les grands voiliers; la plupart, des quatre-mâts à voile carrée. Il y avait aussi des barques, celles-ci portaient une voile latine au mât arrière. Un autre petit navire qui attirait notre attention était un baleinier, "le Falken"; il chassait la baleine de Sept-îles où était la fonderie pour l'huile. Il venait souvent jusqu'à Pointe des Monts et même jusqu'à Manicouagan. Le boette à baleine était en abondance à l'embouchure de cette grande rivière. A l'époque, il y avait Godbout, une localité assez importante de chasse et de pêche. La rivière Godbout était remplie de saumons. Les Molsons de Montréal venaient y pêcher et avaient toute une organisation aussi bien qu'à la rivière de la Baie-Trinité qui était seulement à 6 milles des Ilets-Caribou. Les hommes des Ilets y allaient comme guide des canots. Cette pêche durait environ 6 semaines. Il y avait aussi des pêcheurs étrangers à la petite Trinité et ils employaient plusieurs hommes des Ilets. Mon père y allait souvent. En 1908, il y avait eu le naufrage de la goélette "Blanche-Alma" à la pointe des monts. Elle appartenait au Capitaine Jos Simard de Sainte Anne des Monts et était chargée de marchandises générales. Elle était ancrée au St-Augustin pour être à l'abri du vent et au changement subi du vent du sud-ouest; Comme il y avait d'autres goélettes ancrées à cet endroit, la "blanche-Alma" ayant appareillé la dernière, ne fut pas capable de tirer une bordée au plus près du vent et fut entraîné sur la pointe de Saint-Augustin, ce fut une perte complète. C'était au mois de novembre. En 1909, j'avais 7 ans. Très souvent, le matin, il y avait des goélettes à voile ancrées aux Ilets, parfois la "eugénie", d'autres fois, la "H.B" du capitaine Charles Bernier de Cap-Chat, la goélette du capitaine François Gagnon de St Anne des Monts. Assez souvent, mon père, comme les autres, descendait au havre où les embarcations de pêche étaient ancrées. Elles étaient en flotte à marée haute et échouée à marée basse mais étaient la plupart du temps en flotte. Elle échouait seulement sur le coup de basse mer. Alors j'ai commencé à suivre en embarquant avec mon père dans son "flat". Ces goélettes à l'andre laissent la grande voile et la misaine haute, ces voilures étant bordées à flot, et les voilures d'avant ferlées au beaupré de sorte que les goélettes à l'ancre étaient tête au vent. Nous étions invités à embarquer et souvent il y avait quelqu'un venant de la côte sud en promenade ou qui venait rejoindre des groupes de pêcheurs à la morue installés aux Ilets-Caribou.


La chasse



L'année 1910 fut pour nous un grand évènement, la chasse ayant été très bonne comme pour tous les autres chasseurs, mon père, avec son frère Léon, à leur premier voyage à l'automne, avaient tué un renard noir argenté. Ils étaient à surveiller un castor qu'ils avaient blessé quelques instants auparavant pas très loin de leurs camps quand tout à coup ils voient le renard noir "flambant" comme disait les chasseurs, avancer vers eux en traversant sur la chaussée du castor. C'est à ce moment qu'il tua le renard de grande valeur. Si je me rappelle bien, il avait vendu ce seul renard 1,000 dollars. Au cours de l'hiver 1910-1911, la chasse en général avait été très bonne. Le renard était en abondance sur toute la côte de Bersimis à Sept-îles. Les acheteurs de fourrure parcouraient la côte-nord venant de Québec et de Montréal et offraient de gros prix surtout sur le renard.



La poste


A cette époque, les communications terrestres en hiver étaient en cométique, des traîneaux tirés par des chiens dressés. Quand à la malle, nous en avions d'ordinaire deux à trois voyages de janvier à mars. Les postillons, comme nous les appelions, étaient de Sept-îles. Entre autres noms, les Gallienne (Francis), les Gamache (Jos).



Les Naufrages


Un des pêcheurs, Elzéar Bernier, de Cap-Chat, se noya avec son fils. Un fut sauvé, Charles Bernier, qui plus tard, devient Capitaine de la "Eugénie", rebaptisée la "B.H" Ces goélettes venaient de la Pointe aux esquimaux, aujourd'hui Hâvre-St-Pierre. Cet accident se passa longtemps avant ma connaissance mais j'ai vu très longtemps leur monument funéraire dans le petit cimetière des Ilets-Caribou, leurs noms, la date de l'accident. Leur bargue était parti à la dérive par une forte tempête de vent d'est fut rejointe pendant qu'elle était encore à l'abri de l'île. On hissa un morceau de voile et on la dirigea vers la petite rivière du Grand-Calumet. La barge a culbuté sur la batture de roche et Charles Bernier fut sauvée par un groupe de gens de la côte sud qui cueillait des bleuets à cet endroit. Il y eut aussi le naufrage du "Dareau" sur la pointe aux anglais. Tous les pêcheurs allaient sur les naufrages probablement pour sauver des marchandises jetées à la mer et pour essayer de sauver le navire. J'ai mentionné plus haut le naufrage de la "Blanche-Alma" à Pointe des Monts. Je m'en rappelle très bien, le naufrage ayant eu lieu à l'automne. Le printemps suivant, les marchands de la côte sud sont venus essayer de récupérer les marchandises. Un de ces marchands, Didace Bouchard, de Sainte Anne des Monts, visitait tous ceux qui avaient sauvé quelque chose; je ne crois pas qu'il ait réussi à retrouver quelque chose de bien bon. J'imagine ces caisses de marchandises imbibées d'eau salée et remplies de sable n'offrant pas belle apparence, comme les sacs de farine. Il y avait une croûte de 2 pouces d'épaisseur et il n'y restait de bon que le milieu du sac. Comme les quarts de pomme trempée à l'eau salée! Une marchandise dont je me rappelle et que quelqu'un avait été chanceux de récupérer c'était des caisses de gin et des petites cruches en grès, contenant soit un ou deux, parfois quatre gallons remplies de Whisky de même que du Rhum de la Jamaïque.